Adivasi "premiers habitants"
Les distinctions entre art tribal et art populaire ne sont pas toujours évidentes et ce encore moins en Inde où ces deux genres co-existent encore. Pour simplifier on peut dire que l’art tribal est « la » forme d’expression des peuples premiers. L’art tribal est en soi un art premier, il est unique et ne se positionne pas en regard d’autres formes d’art. Les arts populaires sont une des formes d’expressions des peuples dits civilisés. Les arts populaires existent et se définissent en regard d’autres formes d’arts dits sacré, singulier, savant ou encore brut.
En Inde comme en occident, l'art tribal indien est peu connu du grand public. Pourtant, il n'a rien à envier aux autres formes d'art tribal reconnues comme celles issues d'Afrique ou d'océanie.
Notre ignorance concernant l'art tribal indien tient principalement au fait qu'il fut, pendant plus de deux millénaires, occulté par le rayonnement des arts sacrés dominants issus du bouddhisme, du jaïnisme, de l'hindouisme et de la religion musulmane.
Les origines de l'art tribal indien sont beaucoup plus anciennes que celles des arts sacrés qui les ont occultés. Ainsi, les indiens appellent les populations tribales les "adivasi", ce qui signifie "premiers habitants". Les découvertes récentes de nombreux sites rupestres en Inde font apparaître un certain nombre de similitudes formelles entre l'iconographie encore aujourd'hui utilisée par certaines ethnies et celle utilisée par leurs ancêtres plus de 10 000 ans avant J.-C..
Les études faites en Inde par les ethnologues ont permis de conserver un témoignage sur certaines formes d'art tribal aujourd'hui disparues. Un grand nombre de ces recherches furent consacrées aux Nagas, une tribu du nord-est de l'Inde. Jadis coupeurs de têtes, les Nagas furent christianisés dans les années 50. Leurs parures, leurs sculptures aussi bien que leur architecture révèlent une créativité artistique rarement égalée.
Plus de 50 millions d'indiens appartiennent encore à des communautés tribales. La configuration géographique interne de l'Inde et, à certains endroits, la quasi-absence d'infrastructure routière, maintiennent encore quelques-unes de ces communautés dans un isolement presque total. Loin de toute influence extérieure, celles-ci perpétuent des formes d'art rituel parmi les plus anciennes. Toutefois, la grande majorité des ethnies est de plus en plus en contact avec le monde moderne.
L'art tribal indien qui se perpétue aujourd'hui, en prise ou non avec la modernité, restitue encore la grande richesse et la grande diversité qui le caractérisent. Cette diversité évoque formellement, tour à tour, l'art des aborigènes d'Australie, l'art d'Afrique ou d'océanie ou bien encore, par un hasard facétieux, l'art moderne ou l'art brut.
L'art tribal indien, tout comme certaines formes d'art populaire indien (Mithila painting, Patua art, etc.), privilégie l'interprétation à la création. Ces artistes sont les interprètes de partitions culturelles communes. La qualité incontestée de certaines oeuvres laisse à penser que l'interprétation est en soi un acte créatif, de même que dans les domaines de la musique, de la danse ou encore du théâtre, l'interprétation est un art en soi.
Ce blog présente une sélection d'oeuvres, issues de l'art tribal et des arts populaires indiens, parmi celles que j'ai collectées depuis 1996 principalement dans le Maharashtra, le West Bengal, le Madya Pradesh et le Bihar. Le choix de ces oeuvres, guidé par mon regard de critique d'art, souhaite rendre un hommage au titre évocateur d'une exposition organisée par Jyotindra Jain, directeur du Crafts Museum de New Delhi, "Other Masters".
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Copyright textes, photos et collection : Hervé Perdriolle