Peintre, conteur et magicien



PATUA ART
Midnapur District, West Bengal

Pat, en bengali, signifie rouleau peint et Patua ou encore Chitrakar, signifie peintre. L'origine des rouleaux peints remonte loin dans le temps. On en a retrouvé notamment dans les tombes des pharaons en Égypte. En Inde, la première description de ces rouleaux peints figure dans un texte sacré datant du deuxième siècle avant J.-C..

De nos jours, cette forme d'art se perpétue encore principalement dans les états du West Bengal et du Bihar. Dans le West Bengal, le peintre est aussi chanteur. Les rouleaux se présentent sous la forme de feuilles de papier cousues les unes aux autres et parfois marouflées sur toile. Leur largeur va de 10 à 35 cm et leur longueur, rarement au-dessous de 1 m, peut dépasser les 5 m. A chaque extrémité de ces rouleaux, un bambou (parfois orné de motifs gravés) sert à enrouler et à dérouler la peinture. Celle-ci est réalisée à l'aide de couleurs végétales. Le noir est ainsi obtenu avec du charbon de bois ou du riz brûlé, le rouge avec du bétel, le bleu avec le fruit d'un arbre appelé nilmoni, etc... Afin de fixer ces couleurs, on ajoute une résine d'arbre que l'on a préalablement fait fondre.

L'histoire est décrite en plan séquence comme pour un story board ou une bande dessinée. Rares sont les rouleaux accompagnés de texte.



Anonyme, Création du monde,1990, couleurs végétales sur papier, 25x230 cm.
numéro d'inventaire JPA / 005

Ce rouleau est caractéristique du recyclage auquel se livrent les Jadu lorsqu'un ou plusieurs de leurs rouleaux son endommagés. Ils récupérent les parties présentables et les mixtent ensemble même si celles-ci appartiennent à des histoires, des styles ou des artistes différents ce qui semble être totalement le cas ici.
Ce rouleau commence par une "création du monde" puis enchaine sur une histoire de Kali dans des styles artistiques et sur des supports papier totalement dissemblable.


Le patua est une sorte de ménestrel. Il va de villages en villages avec un sac en bandoulière contenant plusieurs rouleaux. Là, il réunit les villageois autour de lui et déroulant une de ses peintures, ne montrant jamais plus de deux ou trois images à la fois, il chante l'histoire peinte. En contrepartie, les villageois lui donnent une aumône faite d'un bol de riz ou de quelques roupies. Ainsi le patua gagne sa vie.

Les sujets peints par les patuas du West Bengal sont extrêmement variés. Leur auditoire est essentiellement de religion hindoue ou musulmane, parfois catholique. Les thèmes s'inspirent des textes sacrés de chacune de ces religions.



Anda Chitrakar, Sahib Pat, 1990, couleurs végétales sur papier, 28x360 cm.
Numéro d'inventaire PWB / 018

Les "Sahib pat" sont parmi les thèmes historiques préférés des Santal. Ils racontent les épopées d'insurgés, de paysans, se révoltant contre le pouvoir des sahib, des anglais. La version la plus populaire décrit l'histoire de deux frères, Jugal et Kishore, qui furent les instigateurs de l'une des plus importantes révoltes Santal. Ils furent arrêtés, jugés puis pendus comme de simples voleurs. Dans d'autres versions de Sahib pat, l'on voit des notables montés sur des éléphants et chargés les manifestants, nombre d'entre eux meurent écrasés, les prisonniers sont torturés puis jugés sommairement et exécutés.


A ces sujets religieux viennent s'ajouter de nombreux sujets profanes qui vont de l'épopée historique (locale, nationale voire internationale, certains pats évoquant aussi bien la Révolution Française que le désastre nucléaire d'Hiroshima) à des thèmes d'information générale (celui d'un cyclone qui dévasta le district de Midnapur ou plus récemment le décès de Mère Teresa) en passant par des sujets politiques qui leur sont confiés par les autorités locales tel le remembrement des terres ou le planning familial.

Ainsi continue à se développer l'un des patrimoines les plus anciens.



Anonyme, Révolution française, 1980, couleurs végétales sur papier, 40x410 cm. Numéro d'inventaire PWB / 019

En 1989, l'Alliance Française de Calcutta célèbre le bicentenaire de la révolution française en passant une commande de rouleaux peints aux patuas du West Bengale sur ce thème universel de l'histoire de France. Respectant la tradition orale, les émissaires de l'Alliance française réunirent dans un village peintres et villageois et leur racontèrent cette fresque historique sans leur montrer de document iconographique. A eux d'interpréter visuellement le château de Versailles, la fuite à Varenne, la prise de la Bastille, etc.… Tout le village suit avec ferveur cette épopée populaire qui n'est pas sans leur rappeler leur propre révolte contre les Anglais, la décapitation du roi est l'un des moments forts de ce récit.

Plus de dix ans après, de nombreux patuas continuent de peindre des rouleaux sur ce thème et de se rendre dans les villages afin d'y raconter l'histoire, parmi d'autres, de la révolution française. De même, l'on peut voir, entre autre, des rouleaux sur le thème d'Hiroshima, fruit de la rencontre de patuas et de japonais.

JADU PATUA
Santal Parganas District, Bihar

Tout comme les patuas, les jadu patuas (jadu veut dire magicien) sont peintres et conteurs, et vont de villages en villages raconter les histoires qu'ils ont peintes sur des rouleaux de feuilles de papier cousues les unes aux autres et maintenues à chaque extrémité par deux bambous servant à les manipuler.



Kali pat (détail), 1990, couleurs végétales sur papier, 20x320cm.

Si dans l' ensemble de ce patua, l'application l'emporte parfois sur la sensibilité, le rêve tourne à travers cette dernière image au cauchemard. Un cauchemard avant tout malsain à l'image de cette Kali libidineuse, grasse et difforme, et de son traditionnel collier orné de têtes coupées aux expressions sournoises qui semblent avoir fixé dans les stygmates de la mort une étude anatomique de leur perversité.

Les thèmes de leurs rouleaux sont beaucoup plus restreints que ceux des patuas. On en dénombre un peu plus d'une douzaine. Toutefois, chacun de ces thèmes se prête à de nombreuses interprétations. Ainsi, un jadu patua peut raconter à partir d'un même rouleau plusieurs histoires selon qu'il s'adresse à un public hindou, musulman ou santal. C'est ce dernier groupe ethnique qui constitue la majeure partie de son auditoire.



Yama pat (détail), 1990, couleurs végétales sur papier, 25x380cm.

Deux serviteurs de Yama, dieu de l'enfer, s'emparent de l'enveloppe humaine d'un défunt dont seul le squelette reste à terre. Dans les mains du mort, un pot contenant des offrandes ou les cendres du défunt réunis après sa crémation.

Tout comme les patuas, ils vivent de l'aumône que veulent bien leur donner les villageois. Le fait qu'ils soient magiciens donne une tonalité spécifique à leurs interventions car les villageois les craignent.

L'une des images les plus révélatrices du rôle des jadu patuas chez les santals s'appelle mritu pat ou image des morts. Lorsqu'une personne décède dans un village avoisinant celui du jadu patua, celui-ci se rend dans la famille du défunt avec une petite et simple image (environ 8 cm par 4 cm) censée représenter sommairement le mort. Seule la pupille du défunt n'est pas encore peinte. Le jadu patua accompagne la présentation de cette image de paroles évoquant les souffrances du mort dont l'âme serait prisonnière de l'enfer. La famille du défunt fait une offrande au jadu patua afin qu'il intervienne. Le rituel pour le peintre magicien consiste alors à peindre la pupille de l'image du mort afin de libérer son âme.

Les thèmes principaux développés par les jadu patuas sont ceux de la fête de Baha (curieux mélange de mythes hindous et santals laissant une large part aux scènes festives où se mêlent danses tribales, sacrifices et scènes de beuverie), la création du monde (où l'on voit le premier couple humain naître de l'accouplement d'une oie et d'un jars), la peinture de Kali (composée de trois ou quatre feuillets seulement, ce rouleau montre Kali sous ses aspects les plus terrifiants), et enfin de nombreux rouleaux réalisés sur le thème de Yama, le dieu de l'enfer (décrivant tous les sévices, notamment sexuels, infligés par Yama et ses serviteurs aux défunts qui se seraient mal comportés de leur vivant).

L'efficacité picturale de ces rouleaux laisse à penser que plus le style du jadu patua est effrayant, plus grande sera sa renommée.

Hervé Perdriolle

Mritu Pat (image des morts), années 1990, couleurs végétales sur papier, 6x4cm.



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Jadu Patua. De gauche à droite : 1 – 2 - Fête de Baha, anonyme, années 80, couleurs végétales sur papier, marouflé sur toile, 34x320cm, collection privée – 3 – Création du Monde (détails), 1990, couleurs végétales sur papier, 24x340cm. – 4 – Anonyme, Yama pat, 1990, couleurs végétales sur papier, 20x120 cm. – 5 – Anonyme, Création du Monde, 1990, couleurs végétales sur papier, 25x230 cm – 6 – 7 – Anonyme, Yama pat, 1980, couleurs végétales sur papier, 24x260 cm – 8 - Anonyme, Création du monde suivi d'un Kali pat,1990, couleurs végétales sur papier, 25x230cm.

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Jadu Patua. De gauche à droite : 9 – 10 - Anonyme, Création du monde suivi d'un Kali pat,1990, couleurs végétales sur papier, 25x230cm – 11 - Anonyme, Création du monde,1990, couleurs végétales sur papier, 25x230 cm. – 12 – Anonyme, Yama Pat, 1990, couleurs végétales sur papier, 20x190 cm. – 13 - Anonyme, Création du Monde, 1980, couleurs végétales sur papier, 30x420 cm. – 14 - Anonyme, Création du monde / Fête de Baha, 1990, (détail) couleurs végétales sur papier, 25x290 cm. - 15 – 16 - Yama Pat, anonyme, années 1990, couleurs végétales sur papier, 25x190cm. (more)


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Copyright textes, photos et collection : Hervé Perdriolle

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