Chano Devi "Godhana Painting"
C’est par hasard que j’ai rencontré Chano devi, elle était venue à l’occasion d’un work shop que j’organisai chez moi, à Pondicherry, en remplacement d’Urmala Devi qui était alors souffrante. Nous eûmes tout d’abord énormément de mal à communiquer. Non pas seulement pour des raisons de langage, mais essentiellement à cause d’un manque total de feeling. Chano était d’une arrogance dont j’avais beaucoup de mal à définir l’origine. Puis après une longue période d’absence totale de concession de la part de l’un et de l’autre, la glace se brisa. Délaissant son style habituel, Chano Devi se lança dans une série d’œuvres incroyables d’inventivité et de maîtrise n’hésitant pas à changer sans cesse de genre. Oubliant ses registres artistiques habituels codifiés par une demande locale par trop commerciale, elle retrouvait enfin cette liberté que j’avais pu entrevoir sur photo d’un autre work shop réalisé au paravent en présence de Sonia Gandhi (photo ci-contre). Ne serait-ce que par la qualité de cette série d’œuvres, Chano Devi s’impose comme l’une des grandes figures de l’art tribal indien.
Chano Devi entreprit cette série de peintures afin de me montrer l'un des nombreux différents styles de sa région. Celui-ci, le plus simple d'entre tous, est le mode d'expression rituel des femmes les plus pauvres. Pour ces peintures murales et éphémères seuls sont nécessaires un simple morceau d'étoffe usagé roulé en boule et imprégné de deux couleurs végétales parmi les plus faciles à trouver et à fabriquer, généralement du rouge et du blanc obtenus à partir de baies sauvages et de riz pilé. Les sujets d'inspiration sont aussi des plus simples, perroquets, arbres ou fleurs, bergers ou bergères. L'ampleur du geste lors de la réalisation de ces fresques murales est celui du corps confronté à la dimension du mur, simple et naturel. Confronté à la dimension restreinte d’une feuille de papier format 50x70 cm, le geste s’adapte, se réduit et perd de son naturel. Aussi pour la réalisation de ces œuvres par Chano Devi, je m’efforçais de lui fournir des papiers de grands formats semblables à ceux d’un mur afin que, même transcrit sur du papier, ce style pictural, aussi simple que rare, conserve son originalité.
Chano Devi, acrylique et cow dung sur papier, 1999, 190x150 cm.
Je n'ai jamais vu ce type de personnage constitué de deux triangles inversés dans le Mithila. Est-ce ici l'influence des peintures Warli que Chano Devi eut l'ocasion de voir chez moi ou s'agit-il là réèllement d'une iconographie propre à son ethnie et qui, jusqu'à ce jour, m'a échappé ? Cette série de dessins me surprend tellement que je n'ai pas envie pour l'instant d'en savoir plus. La synthétisation des formes, l'aspet aléatoire des compositions, l'effet minimaliste de l'ensemble confère à ces œuvres une étrange modernité semblable à celle de l'art occidental au début du vingtième siècle.
Chano Devi, encre, acrylique et cow-dung sur papier, 1999, 50x70 cm
Cette série de dessins, semblable à des caricatures, sont censés représenter des divinités et des esprits propre à la communauté Dusadh à la quelle appartient Chano Devi. Comme souvent parmi les intouchables, l’iconographie est très riche en démons de toutes sortes.
Chano Devi, acrylique et cow dung sur papier, 1999, 50x70 cm
Quel étonnement de voir à l'autre bout du monde cette femme issue d'une culture si éloignée de la mienne réaliser cette autre série de peintures dont l'iconographie est si proche de celle de mon ami peintre, Robert Combas !
Chano Devi, acrylique et cow dung sur papier, 1999, 190x150 cm.
Cette série de dessins à l'encre noire est la plus représentative de l'art de cette région et de la communauté à laquelle appartient Chano Devi. Au milieu des années 1970 et sous l'impulsion de l'antropologue Allemande Erika Moser (David L. Szanton, in "Mithila Painting: The Dalit intervention"), Chano Devi fut l'une des toutes premières femmes à s'inspirer des motifs ancestraux des tatouages corporels pour les transcrire sur papier. Extrêmement fourni, ce genre de dessin demande plusieurs heures de travail. Dans le dessin suivant, je lui demandais de m'isoler l'une des figures les plus emblématiques, le tigre.
Chano Devi, encre et cow dung sur papier, 1999, 70x100 cm.
Ce dessin fait partie d’une des inhabituelles séries faites par Chano Devi exclusivement à partir de bouse de vache. Elle réalisait cette série à ma demande suite à une photographie que je lui montrai. Sur ce document en noir et blanc, on la voyait en compagnie de Sonia Gandhi entrain d’exécuter, au cours d’un workshop, l’un de ces fameux et rares dessins réalisés seulement à partir de différents jus de bouse de vache, l’un clair pour le fond et l’autre plus foncé pour le trait. Une technique certainement parmi les moins onéreuses et à l’usage des plus pauvres.
Chano Devi, cow dung sur papier, 1999, 170x150 cm.
Papier découpé façon Matisse, cette peinture s'inspire en fait directement des bas reliefs réalisés par les femmes de la même communauté que Chano Devi à même les murs de leurs habitats. Ces bas reliefs exécutés en terre sur des murs de torchis, ton sur ton, ont cette simplicité de forme que requièrent techniques et matériaux rudimentaires. Simplicité de forme que l’on retrouve dans l’exécution de cette peinture sur papier.
Chano Devi, acrylique et cow dung sur papier, 1999, 120x150 cm.
Pupul Jayakar, The Earthen Drum : An Introduction to the Ritual Arts of Rural India, New Delhi 198O
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Copyright textes, photos et collection : Hervé Perdriolle