Godhana Painting "anonyme" Bihar
Dans cet ancien royaume du Nord de l’Inde autrefois dénommé « Mithila », littéralement « forêt de miel », et aujourd’hui connu sous le nom de Madhubani ce sont les femmes qui peignent et qui transmettent leur savoir de mère en fille. On distingue trois styles précis correspondant à trois castes. Les brahmanes s'inspirent des textes sacrés et ont seules le droit d'utiliser les couleurs de leur choix. Les Kayashta(caste placée juste en dessous de celle des brahmanes) s'inspirent également des textes sacrés mais ne peuvent utiliser comme couleur que le noir et le rouge privilégiant ainsi le dessin à la peinture. Le style pictural des brahmanes et des Kayashta est connu sous le nom de Mithila painting.
Enfin les Dusadh (nominally "watchmen" according David Szanton), plus connues en Occident sous le nom d'intouchables, n'ont pas le droit de représenter les divinités et s'inspirent donc exclusivement du monde végétal et animal. Leur style, connu sous le nom de Godhana painting, est aisément reconnaissable par le fond bistre dont elles recouvrent systématiquement leur papier, celui-ci étant constitué à partir de bouse de vache diluée avec de l'eau.
Chez les Dusadh, certains dessins réalisés sur des supports très récents comme le papier, s'inspirent directement des motifs de leurs tatouages. On sait que la pratique du tatouage fait partie des premières manifestations artistiques de l'homme. Ainsi, l'origine de certains motifs Godhana encore utilisés pourraient remonter aux temps les plus anciens. Il est essentiel de conserver ces dessins et de consigner la signification de ces motifs, car dans cette région du monde les tatouages, signes de pauvreté (on se faisait tatouer les bijoux qu’on ne pouvait s’acheter), disparaissent.
Harijan women also drew inspiration from their tattoos: 'Godhana' paintings were born. Their pictorial alphabet began to include lines, waves, circles, sticks and snails, opening the way to stylisation and more abstraction. Harijan paintings may seem repetitive but only from a distance. On a closer look, one sees no real symmetry in them but an unceasing surge of new patterns. Diverging parallels, distorted circles and freedom from the constraints of naturalism can be interpreted as a contesting of established rules. Thus, by painting, Harijans reassert the human dignity that was denied to them through centuries of caste rule. (see Mithila painting)
Encre sur papier, 1998, 240x120 cm.
Au cours du tournage d'un documentaire dans le Bihar, j'eus l'occasion d'acquérir deux grands dessins sur papier. Leur style était particulièrement intéressant, consignant en motifs répétitifs l'iconographie propre au Godhana painting. Chaque dessin s'inspire du monde végétal ou animal et puise l'origine de leurs styles graphiques dans celui, ancestral, du tatouage. Je souhaitais en savoir plus sur leur auteur et très vite je m'aperçu que cela ne serait pas facile. Il arrive, dans cette région comme dans d'autres, que certaines personnes s'attribuent la paternité d'œuvres qui ne sont pas les leurs. Afin d'obtenir un profit maximum de la vente de ces œuvres, ceux-ci n'hésitent pas à faire travailler dans l'ombre quelques artistes, allant parfois jusqu'à les signer à leurs places. Il en a été ainsi pour l'artiste aujourd'hui la plus renommée du Bihar qui durant un certain nombre d'années fut totalement exploitée par une tierce personne. Malgré tous mes efforts, je ne sais toujours pas qui a fait ces deux dessins. La femme prétendant les avoir réaliser, en a dessiné deux autres à ma demande qui ne sont que de médiocres copies des originaux. Il me faudra persévérer dans mes recherches pour retrouver cette artiste.
Encre sur papier, 1998, 240x120 cm (détail).
Encre et cowdung sur papier, 1996, 69x56 cm. Numéros d'inventaire GODH / ANO / 004 / 005
Ce style de Godhana Painting, très répandu au milieu des années 1990, me faisait invariablement penser à celui de Pierre Alechinsky. L’aspect délavé, genre lavis, du fond, ici obtenu avec un jus de bouse de vache, l’utilisation restreinte de couleurs, là une bichromie bistre et noir, la liberté du trait donnant au dessin le statut de partition de musique, le rythme définissant, servant, la composition générale de l’œuvre, s’affirment comme autant de choix et guident le style de ces dessins comme ils semblent orchestrer les partitions picturales d’Alechinsky.
Encre et cowdung sur papier, 1996, 69x56 cm.
Encre sur papier, 1998,180x 110 cm.
Encre sur papier, 1990,65x50cm.
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Copyright textes, photos et collection : Hervé Perdriolle